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Nos élus nous ressemblent-ils ?

Ceux qui nous gouvernent sont-ils tous des ex-cadres de la fonction publique, de sexe masculin, 60 balais bien tassés et tempes grisonnantes, affiliés au PS ou à l’UMP ? Bien sûr que non ! Encore que…

Cinq assemblées d’élus – du Conseil municipal bordelais aux députés – ont été étudiées : sexe, âge, catégorie socio-professionnelle et étiquette politique de nos représentants scrutés à la loupe. Chaque fois, les résultats ont été comparés à ceux de la population qu’ils administrent. La parité progresse. La diversité d’âges et d’origines sociales laisse encore à désirer. Quant à la diversité politique, elle est en panne.

À l’aide de cette infographie, vous pouvez visualiser pour chaque assemblée et selon 4 critères les déséquilibres entre élus et électeurs. À gauche, l’hémicycle tel qu’il est, à droite, son double fictif, calculé proportionnellement à la population concernée :

Lecture globale : Le Conseil municipal de Bordeaux a été comparé à la population bordelaise, le Conseil de la Communauté Urbaine de Bordeaux aux habitants des 28 communes de la CUB, le Conseil général aux girondins, le Conseil régional à la population d’Aquitaine, et enfin l’Assemblée Nationale aux Français.

Chaque fois, on observe d’importantes différences sociologiques et politiques entre les élus et la population sous leur gouvernance. Les traits les plus marquants : absence de parité dès qu’un vide juridique est présent, écrasante majorité de cadres et professions intellectuelles supérieures et absence quasi totale d’ouvriers, très peu de moins de 30 ans, et enfin des partis politiques mastodontes qui accaparent un nombre de sièges toujours plus élevé, au détriment des petits partis.

 

Comment en est-on arrivé là ?

Pierre Sadran, politologue, professeur émérite de Sciences Po Bordeaux, nous livre quelques éléments d’explication : mode de scrutin, cumul des mandats, et composition de la base militante.

 

L’exemple de la parité illustre bien les différences de représentativité des assemblées selon leur mode de scrutin. Le scrutin de liste, où la loi oblige à la parité entre membres d’une même liste, est égalitaire alors qu’un scrutin uninominal où l’on ne vote que pour un candidat favorise les hommes. C’est le cas à l’Assemblée national et dans les conseils généraux. Les femmes sont deux fois moins représentées à l’Assemblée nationale que si elle était représentative. Elle sont trois fois moins présentes que la population du département au Conseil général de Gironde.

Au-delà de la parité, le mode de scrutin influe aussi sur d’autres aspects sociologiques. Par exemple, malgré une tendance à la sous-représentation des retraités dans les assemblées locales, ils sont sur-représentés au Conseil général de Gironde.

On peut donc parler d’un “effet distordant” du scrutin uninominal. Pour corriger cet effet au Conseil général, un nouveau mode de scrutin a été imaginé, proposant d’élire des binômes paritaires. Mais cette réforme ne vaut que pour la parité hommes/femmes.

D’autres catégories, comme les ouvriers ou les jeunes, continuent d’être sous-représentées. Sur les 891 élus étudiés, seuls 2 sont ouvriers. Et seuls 6 ont moins de 30 ans. À la CUB, les « jeunes » sont 2 sur 105. Les rares Kévin, Guillaume et Émilie (prénoms des années 80 et 90) sont enfouis sous les Alain, Jean-Jacques et Anne-Marie (plutôt donnés après-guerre). Que donnerait l’appel si le Conseil communautaire était représentatif ?

Deuxième niveau : l’assemblée dans l’assemblée

Quand aucune loi ne l’encourage, la parité est souvent oubliée. À la CUB, le Conseil communautaire ne fait que voter les textes préalablement examinés par le Bureau, c’est-à-dire par 33 des 105 élus. Et aucune loi n’oblige à la parité parmi ces 33, alors qu’il en existe une pour les adjoints au maire. Résultat, les femmes n’y sont plus qu’un tiers, contre presque la moitié du Conseil communautaire.

Ce “plafond de verre” ne bloque pas que les femmes. Au Conseil général de Gironde, sept catégories socioprofessionnelles sur huit sont représentées. Mais il n’y en a plus que quatre parmi le président et les vice-présidents : les agriculteurs sur-représentés dans le conseil disparaissent dans l’exécutif, tandis que les cadres et professions intellectuelles supérieures se taillent la part du lion.

 

Mais faut-il vraiment que les élus ressemblent à ceux qu’ils administrent ?


Si les élus ne doivent pas forcément ressembler à leurs électeurs, il faut cependant veiller à ce qu’ils ne s’éloignent pas trop de la population. Par exemple, éviter la complète professionnalisation de la classe politique. Mais les obstacles sont nombreux. En premier lieu il faut du temps pour s’engager – d’où la forte présence de retraités dans les assemblées : un quart des élus municipaux sont retraités. Chez les actifs, seuls ceux qui ont la chance de pouvoir s’aménager un mi-temps, ou revenir à leur vie professionnelle une fois qu’ils l’ont quittée pour la politique disposent de ce temps.

 

Et la diversité d’opinion ?

En dehors du PS et de l’UMP, de nombreux partis s’en plaignent : nos assemblées souffrent d’un manque de représentativité politique.

Tout d’abord, le mode de scrutin, majoritaire et non proportionnel depuis le début de la Vème République, laisse une large place au parti ayant obtenu les meilleurs scores. Mais cela n’explique pas tout. Encore une fois, le cumul des mandats “fait système” selon Pierre Sadran. En cumulant les plus gros moyens, le plus grand nombre de militants et le plus d’élus à différentes strates du pouvoir, le capital politique des grands partis ne cesse d’augmenter.

Autre cause de la sur-représentation des grands partis dans les conseils : le clientélisme. Cela est particulièrement frappant pour le Conseil Général (46 élus PS sur 63 sièges). Chaque élu assure son influence grâce aux subventions qu’il lui revient de distribuer aux maires de leur canton d’origine. Ce clientélisme va même au-delà des couleurs politiques : du moment qu’ils sont ouverts à des attitudes conciliantes, surtout entre élus des deux grands partis, les conseillers restent en place après négociations.

 

Le point de vue des élus

Nicolas Brugère et Guillaume Garrigues sont élus communautaires. Le premier pourrait correspondre au portrait-robot de l’élu typique, alors que le second, du haut de ses 21 ans, sort du lot. Face à face.
 
[Vidéo à venir]

 

Que changera la réforme territoriale annoncée par M. Valls ?

Manuel Valls a lancé dans son discours d’investiture le grand chantier de la réforme territoriale longtemps annoncée mais jamais entreprise. Censée remédier aux inconvénients du “mille-feuilles administratif”, elle supprimerait à terme les départements. Les compétences des conseils généraux iraient en partie aux régions agrandies, et surtout aux intercommunalités renforcées. Mais d’après Pierre Sadran – qui ne partage pas le point de vue du jeune élu Guillaume Garrigues – pour que cela fonctionne, les conseils communautaires doivent être élus au scrutin universel direct, et non plus par fléchage. Si on adoptait en plus un mode de scrutin similaire à celui des élections municipales, la représentativité des élus s’en porterait mieux.

Éléa Giraud, Damien Gouteux & Jade Lemaire

Vous pouvez encore consulter les sites du datajournalismelab de 2013 et de 2012. Outre les productions des étudiants, vous y trouverez des documents visant à partager les expériences et la réflexion des nombreux acteurs de ce laboratoire autour d’un modus operandi de la formation au datajournalisme.